« Ça change du nord, j'ai l'impression de faire tache dans cet endroit. » Et ce n'était pas se dénigrer que de dire cela, rien n'avait même jamais été plus vérifiable que cette phrase qu'elle laissait doucement filer à l'adresse de son rancard. Mais pas sans un sourire, pas sans cette touche d'humour qui la caractérisait si bien dans ses bons jours. Parce que la môme, dans ce tee-shirt noir aussi classique que la paire de jeans à laquelle on l'avait associé, elle se sentait bien. Et si bien à mille lieux des perles qui bordaient le cou des dames et leurs étoles de soie, qu'importait ? Elle se fondait au milieu des âmes trop guindées, les regards la survolaient sans jamais s'arrêter et il y avait quelque chose de rassurant dans cela. N'être rien, c'était bien, et bien mieux que d'être la cible des regards salaces et autres joyeusetés qui s'échappaient sans vergogne des lippes de ces tocards qui l'entouraient sans cesse. Rien de cela par ici, c'était même elle la paria parmi ces gens qui formaient une société à laquelle elle n'appartenait pas. Pas de dorures à ses poignets ni mots trop sophistiqués dans sa gueule. Elle ne ressemblait en rien à tout ce qui l'entourait maintenant, c'était même tout ce qu'elle s'efforçait de fuir chaque jour que Dieu faisait.

Pourtant pas si gênée, comme si quelque chose dans l'air lui semblait familier. Peut-être seulement la compagnie, ou le semblant de musique qui habillait l'endroit. De ce genre qu'écoutaient ses parents jadis et pourtant, ça ne semblait pas être ça. « Mais toi, c'est donc ici que tu viens tuer le temps entre deux expériences ? Qu'elle questionnait, tout en retirant ses avants-bras de la table pour accueillir le verre d'eau aromatisée porté par ce serveur qui, sans doute, étouffait sous la pression de sa cravate trop bien nouée. Trois gouttes qui se battaient en duel et une rondelle d'un fruit quelconque qui lui coûtait un bras - pour quelque chose qu'elle ne finirait pas. La cendre élevait son tarif suivant le degré de bourgeoisie des quartiers et c'était en grande partie pour cela qu'elle ne foutait jamais les pieds dans le business district. A quoi bon de toute façon, sûrement peu de came circulait par là et les cow-boy étaient déjà armés. La mafia oeuvrait plus au nord et à l'est, et les filles comme elle n'avaient rien à faire dans cette zone de la ville, que ce soit pour travailler ou simplement flâner dans des endroits comme celui-ci. J'ai toujours du mal à me dire que tu fréquentes ces gens, mais c'est bien, vaut mieux ça. » C'était surtout étrange et ses prunelles devaient laisser deviner le fond de sa pensée, mais c'était bien mieux que son quotidien et ça, elle ne pouvait le nier, puisque lui traînait ses soupirs dans les beaux quartiers pendant que les siens côtoyaient les bas-fonds de cette contrée.